En matière de droit de la construction, les juges rappellent régulièrement dans leurs décisions les obligations de conseil et d’information incombant aux entrepreneurs du bâtiment ; tel est le cas, par exemple, de l’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 15 avril 2021 (Civ.3e, n°19-25.748). Que recouvre le devoir de conseil de l’entrepreneur du bâtiment ?
- Le devoir de conseil
Création jurisprudentielle, le devoir de conseil vise à rétablir un certain équilibre entre l’entrepreneur, professionnel informé, et son client, le plus souvent profane, qu’il se doit d’informer le plus clairement et le plus loyalement possible. Le devoir de conseil se traduit donc par une véritable démarche active où l’entrepreneur se doit d’anticiper l’ignorance légitime de son client en attirant son attention sur des problématiques jusqu’ici insoupçonnées. Si le devoir de conseil de l’entrepreneur vaut majoritairement pour son client (le maître d’ouvrage), l’entrepreneur est également parfois tenu de conseiller le maître d’œuvre ou ses sous-traitants. Cette obligation de nature contractuelle trouve son origine dans l’article 1135 du Code civil, selon lequel « les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature ». Ainsi le client doit-il recevoir de la part de l’entrepreneur un conseil personnalisé et adapté à ses besoins.
- Le vaste champ d’application du devoir de conseil
Le devoir de conseil s’exerce dès l’établissement du projet de construction et jusqu’à réception des travaux, soit tout au long de la relation unissant l’entrepreneur et son client. Le professionnel se voit donc doté de nombreuses missions à chacune des étapes du chantier. Il doit ainsi préalablement s’informer et effectuer toute investigation nécessaire pour connaître la situation du destinataire de son conseil (concernant par exemple les existants, la configuration du terrain…) et ainsi lui faire connaître la nature, les risques, le coût et la portée des diverses options disponibles. Pendant les travaux, le devoir de l’entrepreneur est particulièrement étendu : il doit là encore informer son client des risques encourus par l’utilisation d’un procédé inadapté quitte à refuser d’exécuter certains travaux inefficaces ou inutiles et est tenu à un devoir de compétence en l’absence de maître d’œuvre. L’obligation de conseil subsiste cependant même dans le cas où l’entrepreneur travaille sous l’autorité d’un maître d’œuvre. Il est tenu d’informer son client de la réglementation applicable et l’avertir en cas de non-respect des règles de l’art. À la réception des travaux, l’entrepreneur doit enfin aider le maître d’ouvrage à formuler les réserves nécessaires et lui communiquer par écrit les consignes d’utilisation et d’entretien de l’ouvrage et ses équipements.
- Le recours à la justice en cas de non-respect de l’obligation de conseil
L’entrepreneur du bâtiment ayant manqué à son devoir de conseil peut se voir condamner en justice. Ainsi la Cour de cassation a-t-elle admis de telles condamnations pour des omissions très diverses (quant à l’insuffisance des matériaux choisis, quant aux risques induits par l’interruption d’un chantier, quant à la nécessité d’un permis de construire…) au point que l’irresponsabilité de l’entrepreneur ne subsiste qu’en cas de véritable cause étrangère qui ne lui aurait pas permis de parvenir à l’obligation de résultat à laquelle il est tenu.
Il convient toutefois de préciser que le devoir de conseil de l’entrepreneur ne joue pas à l’égard du maître d’ouvrage en ce qui concerne des faits ou des règles juridiques qui sont censés être de la connaissance de tous. De même, ce devoir disparaît si le maître de l’ouvrage lui cache délibérément certains éléments.
En ce qui concerne l’assignation en justice pour manquement à l’obligation de conseil, la jurisprudence impose aux entrepreneurs d’apporter la preuve qu’ils ont bien respecté leur devoir de conseil envers le maître d’ouvrage, le plus souvent en justifiant d’écrits exprimant leurs réserves (devis, reconnaissance d’avis donné…) Cette obligation est consacrée depuis 2016 par l’article 1112-1 du Code civil.